La Cliquette un instrument de percussion Egyptien 
de l'Epoque Copte

Dr Hans Hickmann
La cliquette égyptienne n'a pas encore été signalée dans la littérature musicologique.  Dans les études archéologiques, non plus les cliquettes, dont nous communiquons plusieurs beaux spécimens dans nos planches, n'avaient pas été reconnues comme instruments de musique, et les rapports de fouilles ne mentionnent que vaguement ces objets en bois ou en ivoire comme «Manches». Une des rares références concernant ces instruments se trouve dans le guide de l'exposition d'art copte qui a eu lieu au Caire en 1944. Dans la partie consacrée à la sculpture et aux arts mineurs, rédigée par M le Dr Et Drioton l'auteur mentionne en p12 et 13 à deux reprises, un «sémanter en bois» datant des V et VI siècles (cat. 213 et 214). Ces objets reproduits en figures 1 et 2 correspondent en effet aux cliquettes véritables, à l'exception des triangles d'assemblage qui sont en bois, remplaçant les cordelettes qui servent en général à attacher les ailes battantes à la pièce centrale.

La rareté des documents et des références mentionnant ces instruments est sans doute la raison pour laquelle la musicologie n'a pas eu connaissance de la cliquette éyptienne.  Ceci est d'autant plus frappant que instrument a certainement joué un rôle important, vu le grand nombre d'instruments conservés.

Il est vrai que ce malentendu s’explique par la disparition des cordelettes attachant les ailes battantes à la pièce centrale.  Ainsi les trois pièces trouvées séparément ne donnaient aucune indication quant à leur emploi musical. C'est pour cette raion que la cliquette égyptienne n’a pas encore été identifiée scientifiquement. Nous avons signalé dans le Catalogue  général des Instruments de Musique du Musée du Caire, deux de ces iristruments dont nous devons donner une description détaillée.

La cliquette consiste en une paire de planchettes mobiles, dont nous reproduisons deux échantillons en figure 5. Ces dernières sont entre-choquées contre une troisième planchette centrale qui fait manche. La cliquette No 69501 du Musée du Caire est décorée par quelques incisions parallèles horizontales, les deux planchettes latérales sont ornementées de quelques traits croisés.  Le manche est partiellement évidé et forme une sorte de kiosque à 4 ouvertures.  La partie supérieure du manche est percée d'un trou latéral servant probablement à la suspension de l'objet.  La partie inférieure des trois planchettes se termine par plusieurs dents.

La seconde cliquette, portant le No 69509 , ressemble à l'instrument décrit ci-dessus.  Une petite boule de bois est enfermée à l'intérieur du kiosque et sert de grelot.  L'instrument est incomplet, les deux ailes battantes manquent.  Les deux objets viennent de Kôm Aouchim.  Ils datent du IIIeme ou IVeme siècle et sont tous deux en bois.

M. J. Strzygowski avait signalé un instrument semblable dans son ouvrage Koptische Kunst.  Il s'agit d'un manche de cliquette en ivoire portant le no 926. L'objet est relativement grand il mesure 19cm4 et provient de Saqqârah.  Le Musée copte du Caire possède d'ailleurs actuellement plusieurs autres cliquettes récemment transférées du Musée du Caire, presque toutes en bon état de conservation. Les provenances ne sont pas toujours connues sauf celles des pièces Journal d’entrée no 60643 (qui vient de Maghagha) et 22/5/22/1, trouvée à Sehat. Les manches sont souvent artistiquement sculpté. Ainsi le manche de la pièce No 60643 est sculpté en une série de boules superposées.  Les mesures varient avec les instruments entre o m.11 et o m.19.

On trouve au Caire plusieurs autres cliquettes dans certaines coIlections privées.  Trois des objets étudiés sont en bois, et il est curieux de relever les différences sensibles dans les mesures (fig. 3) La petite cliquette est incomplète. il ne subsiste que le manche.  La languette ayant constitué la partie centrale de la cliquette est extrêmement courte. La colonne du milieu est enjolivée de quelques traits entre-croisés et le manche est décoré d'une sorte de quadrupède trop sommairement sculpté pour être identifié.  L'objet porte des signes évidents d'usure.

Les deux autres cliquettes en bois (fig. 3) ont de plus grandes ailes battantes.  Un des objets est sculpté d'une facon semblable à la cliquette no 69501 du Musée du Caire. Comme elle, sa partie inférieure se termine par trois dents (1).  Ce dernier instrument est intéressant pour une autre raison: il est décoré le long du manche et sur les ailes d'un ornement, qui se retrouve depuis la plus haute antiquité égyptienne sur beaucoup d'instruments de percussion.  Le dessin de plusieurs cercles concentriques pourvus d'une pointe centrale peut être observé en effet sur les planchettes entre-choquées, tout le long de l'histoire égyptienne ainsi que sur maints autres instruments, comme les crotales de l'époque gréco-romaine.  Il serait intéressant, de retracer dans une étude ultérieure la signification et l'historique de cette ornementation, si on pouvait obtenir une précision quelconque sur la raison pour laquelle elle se trouve toujours sur les instruments de percussion.  Les manches ont quatre faces et se terminent en pointes au sommet.

Nous communiquons en figure 4 deux autres manches de cliquettes en ivoire dont la plus grande porte de nouveau comme décoration le motif des cercles concentriques (1) ainsi que des traits horizontaux et croises.  Les deux ailes battantes dépareillées, représentées droite en figure 4, ont certainement appartenu aussi à des cliquettes en ivoire. La plus petite montre encore le motif des traits croisés et des rondelles concentriques.

Une cliquette fort curieuse termine la liste des objets que nous avons analysés (fig. 5). Le haut de son manche est décoré de la double représentation d'un oiseau qui pourrait être un coq dont la crête est nettement visible (1).  A droite, sur la même planches on trouve la reconstruction du même objet; l'emploi de l'instrument reconstruit montre avec évidence que certains objets en ivoire ou en os peuvent aussi bien servir d'instruments de percussion. Le fait qui s'applique aussi sur les cliquettes et sur les planchettes entre-choquées de l’Egypte antique.  L'usage rythmique de ces dernières a été en effet contesté par quelques savants qui ont invoqué comme argument que l’ivoire serait bien trop fragile pour un tel usage.  Or, l'ivoire frais employé pour la cliquette reconstruite représentée en figure 5, est certainement aussi durable et résistant que le bois dans lequel sont sculptés les autres objets.  La seule différence consiste dans le timbre, les instruments en ivoire produisant des sonorités plus claires et aiguës que les cliquettes en bois dont le son est plus étouffé et grave.

Il est fort curieux que ces instruments il n’ont jamais été représentés. Ceci est d'autant plus étonnant que l'emploi des crotales et des castagnettes est prouvé pour la même époque.  Le terres cuites, sculptures bas-reliefs et dessins sur tissus, représentent très souvent des cymbales, des crotales, des castagnettes et d'autres instruments de percussion, tandis que les cliquettes, relativement fréquentes dans les musées et dans les collections n'y apparaissent pas du tout.

Nous croyons reconnaitre ces instruments entre les mains d'un satyre ou d'un pygmée faisant partie de la collection des terres cuites du Musée du Caire (Cat. gén. no 26848). Mais il se pourrait que ces objets soient des cliquettes ou des castagnettes car ils sont trop sommairement représentés pour être identifiés avec certitude. Une représentation non égyptenne se trouvant sur une monnaie de Carthage (1) est plus claire: la personne tient dans chaque main, un objet qui se compose de trois branches qui seraient la partie centrale et les deux ailes battantes d'une cliquette.

La cliquette existe un peu partout dans le monde. Elle fait partie du folklore musical des différents pays. C'est ainsi qu'on peut l'observer en Wallonie, dans l'ile-de-France et dans le midi de la France. M.A.Schäffner la décrit comme «un manche unique formant charnière à une certaine hauteur dont le secouement produit un claquement de deux ou trois palettes»'2).  Le Dr Curt Sachs donne une description détaillée de cet instrument quant à son emploi en Europe (3).  Il le mentionne par une représentation dans l'ouvrage de G. Kastner, Les danses des morts (1).  Il apparait dans le livre de prières de Simon Vostre (XVIeme siècle). C'est un mendiant lépreux qui l'agite en s'approchant de la maison d'un riche. En général, d'après C. Sachs, ces instruments ont été employé par les lépreux pour annoncer leur approche par leurs rythmes.

Quant à l'emploi des cliquettes pendant l'époque copte, nous ne pouvons rien affirmer: aucun document ne le mentionne.  Les descendants occidentaux des cliquettes coptes nous donnent peut-étre la clef de l'énigme.  Elles sont employées pour «les charivaris, et pendant la semaine sainte» (5).  Si la cliquette a été employée à cette époque déjà en tant que «sémanter», ce terme générique englobant toute sorte d'instruments «avertisseurs», nous devons croire que ses rythmes résonnaient à certaines lieures de la journée, donnant le signal pour la prière, les repas, réglant de ses sons la vie du monastère.  C'est dans ce sens que le « sémanter» est employé actuellement dans les monastères grecs.

Nous avons déjà souligné que l'assemblage des ailes battantes à la pièce centrale se faisait en général par de simples cordelettes.  Les cliquettes représentées en figures 1 et 2 font exception: quelques triangles en bois remplacent les cordelettes.  L'instrument de la figure 1 est percé de deux trous, comme toutes les autres cliquettes que nous connaissons. de manière que les deux trous se trouvent au bord supérieur des ailes battantes, l'un à côté de l'autre.  L'instrument représenté en figure 2 est percé, par contre, de deux trous dont l'un se trouve au bord inférieur des ailes battantes.  Dans ce cas la position de ces dernières est fixée par les deux bouts et les rythmes produits par cet instrument sont dus à un mouvement parallèle des ailes par rapport à la partie centrale, par opposition aux autres instruments qui produisent le son par un mouvement latéral et oblique des pièces mobiles qui ne sont attachées que d'un seul côté.

Par leur ornementation également, ces deux instruments fig.1 et se distinguent des autres cliquettes.  Les manches sont artistiquement sculptés, celui de l’instrument celui est représente en figure 1 est en forme d'une série de bagues superposées.  Les pièces latérales, comparables à celles des cliquettes en ivoire (fig.4 et 5), sont décorées de traits croisés et de cercles concentriques.

D'après les pièces datées, les cliquettes ont été employées au moins pendant la période allant du IIIème VIème siècles.  L"instrument s'est perpétué en Orient sous forme de claquette, telle qu’on la reconnaît dans les mains d'une danseuse turque, représentée dans un document conservé au Musée de la Citadelle, Le Caire (fig. 6)

Le terme « sémanter-» employé pour ces instruments en particulier ceux représentés en figures 1 et 2 par M. le Dr  Drioton, provient du "Semanterion" de l’Eglise Grecque. Il s'agit, en général, d'une planchette rythmiquement percutée par un marteau ou par une baguette (1), qui est, d'après une communication orale de M. G. Michaïlidis, remplacée aujourd'hui. comme dans le Monastère du Mont Athos, par un tube en métal avec lequel on donne des signaux par une frappe rythmique. La petite variante de cet instrument. signalé par le Prof.  Dr Curt Sachs le « cheirosemantron», semble correspondre à certains objets que j’ai pu voir au « Fricktalisches Heimatmuseum» à Rheinfelden (Suisse).  Ces «Klappern» sont faits d'un manche sur lequel est monté horizontalement une planchette ovale, aux flancs rétrécis.  Le manche perçant cette dernière et la dépassant de quelques centimètres sert à fixer un petit marteau qui frappe sur la planchette quand on secoue l'objet (fig 7 et 8).  Ces instruments étaient emplovés pendant la semaine sainte, spécialement le Vendredi saint, pour remplacer les clochettes (3). Nous devons croire que le "Semantirion" et sa variante, le "Cheirosemanterion", sont en effet les descendants indirects des cliquettes coptes qui font l'objet de cette communication.  Ces dernières semblent, de leur côté, apparentées aux sistres à planchettes (Plattensistrum») dont l'instrument représenté en figure 2 serait une réminiscence particulièrement instructive.
 

References

Nous devons cette référence à une communication orale de M. Ch. Bachatly. Bull.1, XIII
H.Hickmann, Catal. gén. des Instr de Mus. du Musée du Caire, pl.  XVIII A et B.
Ibid., Annexe I.
Long. tot. de la plus grande. 18cm.5; sa larg. max.. 2cm5. L'instrument de grandeur moyenne: long. tot., 15 cm2 ; sa larg. max. 2 cm.  La plus petite cliquette : long. tot., 10 cm; sa larg. max.. 2 cm. 5.

Cet ornement se trouve d'ailleurs sur certains instruments de musique africains, surtout des ivoires M. HEYDRICH, Afrikanische Ornamentik, Diss.  Leipzig 1914, Pl. XI.

Long. tot., 14 cm7 ; larg. max. 2 cm 8 ; épaiss. max.. 0 cm. 6. Mesure des ailes 4 cm4 x 2cm4 (2cm9).
Nous avons retrouvé le motif archaïsant de la tète de coq comme ornement d'aiguilles en os (J.  STRZYGOWSKI, Koptische Kunst, pl.  XIX).
Ch. DAREMBERG-E. S.AGLIO, Diction. des antiquités grecques et romaines, IV, 1 , figure 5349 (article nummus).
Origine des instruments de Musique, Paris 1936, p.56.
Handbuch der Musikinstrumentenkunde, Leipzig 1930, p. 56.
Paris 1852, pl. XX, 187.
La musique des origines à nos jours, p. 53, Larousse, Paris.
D'après une photo parue dans l'hebdomadaire Images, du 21 aoùt 1948.
Curt Sachs, Real-Lexikon derMusikinstrumente, Berlin 1923 p342.
Ibid, p77
Longueur du manche jusqu’à la planchette 26 cm7.  Largeur max. de la planchette 18cm8. Nous devons ces informations, la photo et le dessin communiqués en fig 7et8, à l’amabilité de M. A.Senti, Directeur du <Fricktalisches Heimatmuseum> à Rheinfelden, Suisse.
Le sistre à planchettes est un instrument entre le hochet, dont font partie les sistres, et les planchettes entre-choquées, tant connues des anciens Egyptiens.

FIN
 

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