La redécouverte des KelliaSi le site des Kellia, en Basse-Égypte, est un foyer de naissance du monachisme chrétien un peu plus récent (de quelques décennies) que ceux de Moyenne et de Haute Égypte, en revanche, il a fourni ce qui nous manquait complètement ailleurs: une in formation archéologique abondante et détaillée, matériellement précise, remontant jusqu'aux origines de l'établissement (IVe siècle), et confirmant et complétant la tradition textuelle. Et encore, de ce site immense et prestigieux, n'aura-t-on pu fouiller qu'environ 5% avant sa destruction, aujourd'hui presque totale.
Le site des Kellia a été découvert et fouillé la première fois en 1932 par Breccia et identifié plus formellement en 1937 par De Cosson. Comme à l'époque les ruines kelliotes n'étaient nullement menacées, ce dernier se contenta de signaler leur existence au monde savant, après y avoir dégagé sommairement les pièces principales d'un petit ermitage, avec leurs décorations.
Presque oublié ensuite, le site a été redécouvert en 1964 par Antoine Guillaumont, au cours d'une expédition archéologique que j'avais organisée. Cette redécouverte a coïncidé avec le début de la destruction des Kellia, victimes de la mise en cultures du désert. Ces "cellules" étaient en effet installées sur un terrain relativement bas, facile à irriguer à partir des canaux les plus proches. La nappe phréatique, douce et potable, s'y trouvant à
une profondeur moyenne de 7 mètres, les moines y creusaient leurs puits sans trop de peine. Ils disposaient ainsi d'eau pour boire et survivre, mais aussi et surtout, ils s'en servaient pour pétrir des briques crues, faites de la matière même du sol profond, et bâtir rapidement les cellules de leurs ermitages.On sait que dans les premiers temps, les Kellia ont abrité de grands érudits, tel Évagre le Pontique, ainsi que différents groupes origénistes, dont celui des "Longs Frères", qui en furent chassés au cours d'une réaction anti-intellectualiste massive et radicale issue de la "base" monastique, aussi fanatiquement pieuse que culturellement pauvre, composée souvent d'anciens paysans analphabètes, principale couche sociale où se recrutait le monachisme autochtone. C'était l'amorce d'une évolution anti-grecque de la théologie copte, de plus en plus tournée vers la simple morale et la piété accessible à tous, une piété réfractaire aux spéculations si chères à l'orthodoxie grecque, héritière en ce trait de la pensée philosophique hellénique.
Aujourd'hui hélas, le défrichement du "désert des Kellia" a presque entièrement anéanti les somptueux vestiges archéologiques du site. Les urgences alimentaires d'un pays surpeuplé ont eu plus de poids que les considérations culturelles. Ainsi en vat-il très souvent en Europe aussi, lorsque le développement économique se trouve en conflit avec la sauvegarde du patrimoine archéologique.
Aussi, gardons-nous de jeter la pierre à l'Égypte du XXe siècle, dont globalement l'effort de préserver ses richesses culturelles, y compris coptes et chrétiennes, reste remarquable...
Les fouilles des Kellia ont fourni aux rechercheurs de nombreuses indications sur le mode de vie des communautés semi-érmétiques dans ces laures. Sans doute cependant nous font-elles connaître un état assez tardif, riche et “installé”, de la vie monastique en ces lieux.
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L’érmitisme fut souvent pratiqué par ceux-là mêmes qui, après avoir vécu “dans les montagnes comme des bêtes errantes”, furent à l’origine de monastères: il en est ainsi d’Appollon et de Phib, deux des fondateurs du couvent de Baouit. Connu par la littérature, il n’a laissé que peu de traces: les ermites se construisaient des huttes dont rien ne subsite ou occupaient des anfractuosités naturelles (par exemple à Naqlun et à Antinoé) ou des tombes creusées dans la falaise. L ‘anachorétisme, à l’organisation fort souple et comprenant aussi les semi-érmites, et le cénobitisme ont en revanche donné naissance à des laures et à des couvents.
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A partir du IX ème siècle, la plupart des monastères déclinent, sont abandonnées puis recouverts par les sables, mais ceux qui ont subsisté – certains jusqu’à nos jours – apportent un éclairage complémentaire bienvenu.
Ainsi, certains couvents toujours en activité (à Assouan, à Sohag, à Esna, au Ouadi Natroun) apparaissent comme de véritables forteresses. Sans revêtir un aspect aussi marqué, les témoins du premier monachisme présentent une clôture. Dans les ensembles pachômiens, il s’agit d’une véritable enceinte enfermant toute une ville : les églises, réfectoires, hôpital, cellules de moines réparties le long de « rues », parfois organisées en « maisons » selon les métiers exercés et des jardins. Régies par des règles moins strictes, les fondations antoniennes, les « Laures », sont des colonies d’ermitages dispensés et desservis par une ou deux églises ou les moines se retrouvent le samedi soir et le dimanche. Les Kellia sont de ce type, tout comme les ermitages de Naqloun et d’Antinoé dispersés dans les montagnes ou encore ceux d’Esna creusés dans le jebel.
Les appartements des moines :
Aux Kellia, la vision qui s’offre à nous ref lète l’état du VII ème et VIII ème siècles ; on connaît mal les cellules des IV ème et V ème siècle, de simples petites pièces creusées dans le sol, enfermées par une clôture. Dès la fin du V e siècle, le plan évolue : une enceinte rectangulaire d’environ 35 m sur 25 enferme en ses murs une grande cour avec un jardin et des bâtiments surmontés de coupoles ; ce corps de logis destiné à deux ou trois moines comporte une cellule plus importante que les autres destinée à l’Ancien et des disciples communiquent avec l’office, les cuisines et les resserres. Les fouilles ont montré que, sans vivre dans le luxe, les Kelliotes jouissaient de celliers, de cuisines assez bien équipées, de toilettes orientés en fonction du vent dominant.
Qu’il s’agisse de laures ou de couvents plus organisés, l’appartement type du moine comporte deux pièces : l’une pour vivre, travailler et dormir, l’autre pour prier. A Sakkara et à Baouit, elles ne sont pas totalement distinctes ; elles le sont d’avantage à Naqloun ; à Esna et aux Kellia, chambre et oratoire constituent deux entités bien séparés.
Un oratoire privé au décor élaboré
Partout, l’oratoire privé correspond à un plan bien défini et, réservé exclusivement au culte, il a reçu les décors les plus élaborés ; on peut y voir, dans la partie supérieures des murs, des personnages saints, des animaux et des plantes, et, au-dessous, un soubassement tantôt monochrome, tantôt orné de panneaux polychromes et souligné de frises géométriques ou florales. Le mur oriental, le plus important, comporte en son centre une grande niche décorée avec soin, surmontant parfois une petite cavité ; l’encadrent des niches plus petites et aux décors plus modestes, sortes d’armoires destinées aux objets du culte. Cet aménagement s’apparente à celui des maisons romaines du Fayoum ou la grande niche est destinée à recevoir l’image de la divinité. Dans la niche-oratoire, apparaissent à Sakkara et à Baouit le Christ, la Vierge, les archanges, parfois des fondateurs, tandis qu’aux Kellia la croix domine.
A Sakkara, la pièce menant à l’oratoire est simplement pourvue d‘un soubassement monochrome ; à Esna, elle comporte des bandeaux autour de la plupart des ouvertures. Aux Kellia, la chambre ne porte guère de décoration, tandis que le vestibule conduisant à l’appartement du moine se couvre de peintures et d’inscriptions : le soubassement est surmonté d’une flore et d’une faune variées voisinant avec des croix ; sur l’arc des vestibules doubles se déploient des pampres et des rinceaux parfois peuplés d’animaux. De rares motifs, souvent rendus à grands traits, figurent aussi sur les murs des cuisines, des latrines ou de la cour.
Les moines au désert : un isolement relatif
par Maurice Martin, s.j.- Collège de la Sainte-Famille, Le CaireAntoine, le « père » des moines du désert, quitte la laure de ses disciples à Pispir avec une caravane qui suit une piste fréquentée, le ouadi Araba reliant la vallée à la mer Rouge, et se fixe dans une petite oasis. De même dans le désert de Qalamoun, à 30 km sur la piste qui relie l’oasis de Baharia à Ozyrhynchus-Bahnasa, on trouve des marées salants exploités. Le Scété de Macaire, auprès de lacs de nitres, est le skétis de l’Antiquité, célèbre pour sa production en verreries. C’est non loin de là que se trouvent les Kellia.
De nombreuses laures s’installent â proximité des villes. A la laure succède souvent une monastère (un « Deir »), qui lèguera son nom au village actuel le plus proche, souvent encore majoritairement copte. Ainsi, le mont Naqloun, une colline desertique à 8 km d’Arsinoé, capitale du Fayoum, comprend quatres sites monastiques, dont la laure-mère de Deir-al-Malak avec ses 80 cellules creusées dans la roche. Sur le rebord du bassin d’Atinoé, capitale de la Thébaïde, quatre laures sont installés dans les carrières de la montagne : 30 cellules à Deir al-Dik, une dizaine à Sumbat et Barsha, près de 40 au martyrium de Colluthus à Abou Hennis. Dans la montagne qui domine Lycopolis-Assiout, Deir al-Izam, l’ermitage de Jean de Lyco, très isolé sur le plateau, est entouré de quatres sites monastiques installés au-dessous dans des carrières et tombes : al-Muttin, Durunka, Rifa et Sawirus. Dans leur prolongement, espacées de 5 à 10 km, viennent les laures d’apa Apollo à Balayza, d’apa Thomas au ouadi Sarga, d’apa Macrobe à deir al-Ganadla.
Bien plus, au Sud, notons encore deux laures à proximité d’Hermonthis-Armant et, sur Latopolis-Esna, la laure aux 15 riches cellules souterraines fouillées par l’IFAO du Caire. La ville voisine favorise, en l’alimentant de crues et en offrandes abondantes, l’installation des moines au désert.
Les décors des murs aux Kellia
Par Marguerite Rassart-Debregh, Archéologue, coptologueL’architecture et la décoration des ermitage des Kellia, les « cellules », nous permettent d’imaginer la vie qu’y menaient ces moines épris de solitude. Au moment de leur dégagement par les archéologue, la plupart des édifices s’offrent à nos yeux dans leurs état du VII ème siècle, une époque de grande prospérité.
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Plan de l’aile orientale de l’ermitage QR 306. Chaque couvent se présente alors comme un ensemble rectangulaire aux bâtiments surmontés de coupoles réparties autour d’une grande cour (1) avec puits et jardin ; il abrite des disciples et leur maître, l’Ancien ; l’appartement de celui-ci comprend un vestibule double (2-3) qui, par un couloir (4), communique avec l’oratoire privé (5), les chambres (6-7) et les cuisines (8)
Ermitage QR 306, vestibule (pièces 2-3) paroi est.
Les représentations divines ne sont guère nombreuses ; à ce jour, on connaît une image de Marie et quatre du Christ dont ce fort beau visage juvénile inscrit dans un médaillon : Jésus bénit de la main droite et tient le Livre de la gauche.
Ermitage QR 306, oratoire (pièce 5) paroi Est avec niche de prières. L’austérité environnante poussa les moines à décorer avec une grande exubérance les pièces les plus importantes ; les ouvertures y sont soulignés par des bandeaux géométriques aux floraux. La paroi est, devant laquelle le moine prie, est particulièrement mise en valeur ; les motifs peints dans la niche-oratoire témoignent de la vénération personnelle du moine ; icla croix centrale se dresse au milieu des végétaux abritant deux colombes.
Ermitage QR 306, vestibule (pièces 2-3) paroi nord Le vestibule menant à l’oratoire se couvre de peintures et d’inscriptions. Au-dessus d’un soubassement souvent rouge, flore et faune variées, parmi lesquelles vogue parfois un bateau, voisinent avec la croix ; ici des perdrix adorent une croix gemmée alors qu’à l’ouest, ce sont des perroquets.
Ermitage QR 306, vestibule (pièces 2-3) paroi ouest Un arc-diaphragme sur l’intrados duquel se déploie une vigne luxuriante partage le vestibule en deux parties. Les divers éléments architectoniques sont en argile sont en argile façonnée puis recouverte de stuc ; par-dessus, un judicieux emploi des couleurs évoque les cannelures des colonnes et le relief des chapiteaux.
Des symboles hérités du monde ancien Par Marguerite Rassart-Debregh, Archéologue, coptologue
Bien que chrétien depuis ses origines, l’art des Coptes peut fortement désarçonner par son aspect hybride. Quelles que soient les formes artistiques, les motifs païens perdurent au moins jusqu’au V ème siècle.C’est dans la décoration sculptée et peinte des nécropoles, comme à Touna el-Gebel, que l’on suit le mieux le passage de la mythologie d’époque pharaonique à celle des Grecs et des Romains d’Egypte, puis à l’iconographie chrétienne.
A partir du V ème siècle, les sujets religieux, des croix surtout, se multiplient, sans pour autant remplacer totalement les thèmes issus du monde antique ; ce n’est qu’à la fin du VI ème siècle, que le Christianisme l’emporte définitivement et que se développe réellement un art Chrétien. Toutefois, l’évolution de la mentalité religieuse ne signifie pas obligatoirement un changement iconographique : le mélange des formes hérités du passé (éléments purement décoratifs, certains d’animaux et de végétaux, bateaux) constitue un fond très riche dans lequel tous les artistes puiseront à la volonté et un même répertoire se retrouvera sur les mosaïques, les sculptures, les peintures, les tissus. En outre, à côté de sujets chrétiens ou pouvant être compris comme tels, les artistes ont aimé représenter une faune et une flaure pareilles à celles qui décorent les édifices d’époque pharaonique, comme le célèbre « Jardin botanique » de Karnak. Hérité de l’antiquité, le goût de l’artiste copte pour les scènes de genre l’amène aussi à mêler fréquemment des scènes de la vie quotidienne aux représentations sacrées ; ainsi il n’hésitera pas à mettre autour de la croix, au lieu des animaux symboliques habituels (paons, béliers, cervidés), des perdrix, des canards, des perroquets, et même des hippopotames, des lions et des crocodiles. Certains représentations de l’art chrétien d’Egypte ne s’expliquent ainsi que par le succès qu’elles avaient connu autrefois.
Un dernier motif mérite d’être remarqué : les barques et bateaux. Au Kellia, ils glissent sur les parois ou emplissent la niche-oratoire.
Dans la plupart des religions anciennes, ils évoquent le passage d’une existence à l’autre ; en Egypte, par leur course dans les ténèbres, ils permettent au jour de renaître.
Le christianisme leur reconnaît les mêmes valeurs : traverser la mer tumultueuse de l’existence et atteindre la vie éternelle. Chez les théoriciens du monachisme égyptiens, l’église est associée à un bateaux dont la croix est le mât ou l’ancre. Les sentences et maximes des grands solitaires décrivent aussi le simple moyen de transport dépourvu alors de toute symbolique : certains couvents possédaient des navires, d’autres disposaient des ateliers de réparation.
La vigne
Attestée en Egypte depuis l’époque pré-dynastique, la vigne figure dans bien des tombes de l’Ancien Empire. Dans le monde classique, le vin qu’elle produit est par excellence la boisson des dieux qui donne l’ivresse mystique et assure la renaissance, comme en témoignent les cultes de Dionysos et de Bacchus.
Sous l’influence du christianisme, la vigne revêt une signification nouvelle. Arbre de vie, elle s’associe à la croix et au Christ : le Christ est la vigne, le vin devient son sang par le mystère de l’eucharistie. Elle signifie aussi l’unité entre le Christ et ses disciples : ‘Je suis la vigne et vous êtes les sarments’ (Jn 15,5).
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Dès l’origine, la vigne est considérée comme un arbre sacré, dans l’Ancien Testament, elle désigne la Maison d’Israël (Es 5,7). Dans les nécropoles gréco-romaines ou chrétiennes comme dans les monastères, sa représentation remplit un double rôle, symbolique par son essence et décoratif par sa forme : les pampres, qu’ils jaillissent de canthares d’or à la panse rebondie ou qu’ils naissent de la branche supérieure de la croix, qu’ils portent des grappes gonflées ou des grenadent que les oiseaux s’apprêtent à picorer, étirent leurs volutes sur toute la surface d’un mur ou de l’interieur d’un arc dont ils épousent parfaitement l’arrondi.
Les animaux maléfiques du désert :
Thème chrétien par excellence : le Christ ou le saint triomphant du Mal sous toutes ses formes, comme Saint Georges tuant le dragon ; fréquent en Egypte, ce motif du saint militaire triomphant deviendra un des piliers de l’iconographie chrétienne, y compris en Occident.
On en recherche parfois les archétypes dans les mythologies grecques et romaines, en négligeant souvent les exemples de l’Egypte antique. Or, les décors des Kellia comportent de curieuses représentations de croix victorieuse qui ne s’expliquent qu’en recourant à l’iconographie pharaonique, comme cette croix multicolore dressée au milieu d’une vigne ou se cachent un lion, un crocodile et un hippopotame (Izeila, ermitage 90).
A l’époque pharaonique, nombre d’animaux divins revêtaient un double aspects, bénéfique et maléfique, et le culte qu’en leur rendait visait autant à les honorer qu’à conjurer leur malveillance. Cette bivalence subsiste à l’époque chrétienne ou le Christ triomphant écrase et apprivoise en même temps.
Pour l’ancien Egyptien, le crocodile est un dangereux tueur ; pour les Coptes, il représente une des formes du Mal ; un relief du Louvre ou Horus à cheval le transperce d’une lance témoigne de ce curieux syncrétisme.
Dans la religion égyptienne, la déesse lionne Sekhmet peut être une destructrice implacable du genre humain ; de même le lion sauvage menace le moine du désert, de nombreux apophtegmes en témoignent. Souvent aussi, il est associé au Malin : « Mon enfant, j’ai peur parce que le rugissant lion cherche qui dévorer » (AP. Anon, 409) ; mais comme les gardiens d’époque pharaonique, les lions de l’époque chrétiennes sont parfois bénéfiques : ils interdisent au Mal de s’insinuer dans les pensées de l’Ancien : dans les Vertus de saint Macaire (Amélineau, 196,5), Macaire le Grand ne rappelle-t-il pas que « le cœur des justes est plus courageux que celui des lions » ?
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Le ankh et la croix
Symbole de vie, le ankh avait tout naturellement sa place dans le répertoire des Coptes’ La croix ansée devint donc un motif s’adressant aux différentes communautés : les païens la connaissent depuis la plus haute Antiquité, les chrétiens le comprennent et l’adoptent. Il en existe des exemplaires en métal ; elle figure sur les tissus, sur les reliefs et sur les peintures. Quelques stèles funéraires mêlent même croix ansée et latine ; ailleurs, la hampe et les branches latérales s’épanouissent…
Le musée Copte du Caire possède une fort belle tenture (ci-dessus) ou se lit le nom Phoebamon (le fondateur de deir el-Bahari ?) ; elle est décorée d’oiseaux et d’édifices abritant chacun une croix gemmée et ansée dont la boucle renferme un chrisme ; les branches latérales tiennent des palmes ; des oiseaux l’encadrent. Cette tenture associe ainsi l’ancienne et la nouvelle religion : la croix en forme d’orant – qui rappelle en même temps le ka –, le palme des martyrs, le chrisme et les paons, symboles de résurrection.
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Palmiers et Arbres de vie
Les palmiers ont de tout temps nourri l’Egyptien ; ils symbolisent la fraîcheur bénéfique du point d’eau au sein du désert aride et évoquent, par leur seule présence, la richesse et la quiétude des oasis et des terres cultivables. Souvent représentés dans les temples d’époque pharaonique, ils figurent également dans les nécropoles greco-romains, comme à Alexandrie.
On offre des palmes au Christ lors de son entrée à Jérusalem et la palme devient, à l’époque chrétienne l’attribut des martyrs, symbole de la victoire, d’ascension et d’immortalité. Dès lors, palme et palmier seront associés à l’image du paradis.
Ils font aussi partie de la vie quotidienne des moines. Leurs fruits ont nourri des ermites : Onophrios est représenté à côté d’un palmier sur une peinture de Sakkara et à Faras et Nubie. Ils servent au travail manuel qui constitue, avec la prière, une des obligations des moines : les palmes servent à fabriquer les nattes, des paniers… Une des inscriptions des Kellia rapporte que Macaire était « allé avec d’autres solitaires […] pour couper des branches de palmiers dont il faisaient leurs ouvrages… » (Les vies des pères, M-A Marin, Avignon, 1761). La littérature Copte témoigne aussi de la symbolique du palmier : « un (moine) âgé a dit ceci : il est écrit que le juste s’élèvera comme un palmier. Cette parole signifie l’élévation des bonne choses et leur douceur, et [elle indique] qu’il n y a qu’un seul "cœur" à [l’intérieur du] palmier : tout son intérieur est blanc. Il ressemble ainsi au juste, dont on voit qu’il est d’un cœur un (anime) en présence de Dieu, regardant vers lui seul, et possédant la lumière de la foi : en effet, toute l’œuvre du juste est dans son cœur. Quant aux épines du palmier, qui transpercent, ce sont les combats du juste contre le Diable » (souligné par R.Kasser, Topographie II).
On lit aussi dans les apophtegmes que « le juste fleurit comme un palmier »(AP Anon., 13,62), maxime qui reflète bien la conception des moines : la vie du juste doit être exemplaire et embellir ce qui l’entoure.
Le palmier figure en bonne place aux Kellia sur les parois des vestibules, parmi d’autres végétaux évoquant à la fois l’oasis ou le jardin du moine (aspect matériel) et le paradis auquel accède le juste (aspect religieux). De plus, l’Arbre de vie et le palmier fusionnent souvent avec la croix : cette dernière naît alors au sein d’une végétation particulièrement luxuriante ou se couvre de feuilles ; ailleurs, sa base s’arrondit comme celles de certains palmiers et ses branches prennent l’aspect squameux de leur tronc.
Une fois encore se dessinent une double signification et une nouvelle continuité. Comme dans les tombeaux d’époque pharaonique, ou un au-delà enchanteur et sublimé se révèle à travers des paysages verdoyants et luxuriants, les murs des cellules se couvrent des images d’arbustes qui renvoient aux plantations du jardin des moines mais aussi à des souvenirs plus lointains : palmiers, dattiers, sycomores, acanthes, plantes grasses voisinent en effet avec des scènes nilotiques que le moine avait sans doute eu le loisir d’admirer avant sa retraite. Mais une fois de plus, sous l’influence du christianisme, l’aspect religieux se superpose à la composante matérielle.